La nuit tombe, la journée dans le service a été éreintante : deux patients sont décédés et une jeune femme a été accueillie le matin même, très affaiblie par le transfert de l’hôpital à la Maison Médicale Jeanne Garnier. Elle a passé la journée à dormir. Sa fille jeune adolescente est restée un moment à son chevet, a laissé une lettre. Personne n’a eu la possibilité de la lui lire, une amie infirmière me propose de le faire.

Sur le pas de sa porte, je me présente et demande si je peux entrer. La jeune femme est tournée vers la fenêtre, je n’aperçois que sa chevelure blonde. Je m’approche tout doucement, lui demande si elle souhaite que je reste à ses côtés, si je peux m’asseoir. Depuis mon entrée dans la chambre, la patiente n’a pas bougé, son corps est immobile. Pourtant, je sens qu’elle m’accueille. Elle est présente. Elle est bien là. La Vie est palpable, évidente.

La lettre est posée sur la table de chevet. Je lui raconte la venue de sa fille, la lettre laissée, lui propose de la lui lire.

Immobilité de nos deux corps, moment suspendu. Tous les sens en éveil, je guette le moindre signe. Je sens qu’elle attend.

Mystère de l’infiniment petit

J’ouvre la lettre. Ma voix laisse transparaître mon émotion. Je m’apprête à entrer dans leur intimité, mots d’amour d’une jeune fille à sa maman mourante. Le silence entre les mots est dense, profond. Je sens que la patiente écoute, que nous communions à ces mêmes mots. Je suis très touchée.

Je lis les derniers mots, lève les yeux, pose mon regard sur elle. A cet instant, je sens qu’elle vient de quitter ce corps. Il est maintenant sans vie, inhabité. Elle n’est plus là. Cela m’est une certitude, s’impose à moi puissamment, sans équivoque. Pourtant, absolument rien d’observable ne s’est produit, rien de manifeste.

Mystère de l’infiniment grand

Le sentiment de présence a maintenant fait place à un sentiment d’absence.

Je demeure un instant, surprise et saisie par la fulgurance et la puissance de cette certitude, consciente de l’instant de grâce que nous venons de partager, du cadeau qui nous a été fait, bouleversée d’avoir été là, de l’avoir accompagnée de ces paroles d’amour. Deux soeurs en humanité, en Lui.

Je me lève, cherche une infirmière. Celle-ci me précède dans la chambre et confirme le décès.

Une soignante appelle la jeune fille, lui demande de revenir au plus vite. A son arrivée, elle se précipite dans la chambre avant même que les soignants n’aient le temps de l’intercepter. Elle ressort de la chambre, ses yeux hagards cherchant un regard. Nous sommes autour d’elle, bouleversés. Elle éclate en sanglots, je m’avance et la prends dans mes bras. Je lui raconte doucement : le temps suspendu, l’écoute très attentive de sa maman, ses mots d’amour à elle, entendus et accueillis, son départ serein et paisible, bercé de paroles aimantes.

Ses sanglots cessent, sa respiration s’apaise. Calmement, elle plonge son regard dans le mien, et me sourit. Au fond de ce regard plein de douleur, il y a de la Joie.

Écrit par Karine Mairesse

Texte publié dans le journal de Notre-Dame du Chêne de Viroflay en Avril 2017 (Numéro 523)

Un autre texte de Karine Mairesse (128ko)

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